Bonsaï-club du Lauragais
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Une activité du Foyer Rural de Pompertuzat
31450 POMPERTUZAT

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Botanique et toponymie I

Nous reproduisons ici, avec l’aimable autorisation de l’auteure, Madame Geneviève Durand, le texte d’une rubrique qu’elle a initiée dans le journal de l’association Caminarem. Nous la remercions et sommes sûrs que nos lecteurs, amis de tous les arbres seront très intéressés.
Les illustrations sont tirées des archives de notre club.

LE HÊTRE, LE CHARME, LE BOULEAU ET LE FRÈNE

Il y a tant d’arbres dans les forêts d’aujourd’hui et d’hier que j’ai décidé de regrouper quelques essences. Leur répartition dans la carte de France nous fait réfléchir sur l’évolution des paysages soumis à l’action de l’homme et aux variations du climat.

Le hêtre

L’importance du hêtre (Fagus sylvatica) et de la hêtraie dans l’économie médiévale se traduit par l’abondance des toponymes qu’ils ont fournis. Mais deux questions se présentent. Une question lexicale car la désignation de l’arbre a évolué depuis le temps où notre espace rural a été colonisé et nommé : le terme d’origine latine (fagus > fau ou fou) a été supplanté par un autre afin d’éviter une homonymie gênante. Sait-on aujourd’hui que le Puy du Fou est la "colline du hêtre" et non du malade mental ? À l’origine, la racine *haistr latinisée en hestrum ne désignait qu’un buisson, une clôture faite avec des branches. Puis elle a désigné l’arbre lui-même coexistant jusqu’au XVIIe siècle avec le terme ancien que la toponymie a conservé. Nous parcourrons donc les formes qui dérivent de la racine primitive. La seconde question touche l’histoire du climat : je me suis toujours interrogée sur les nombreux toponymes évoquant le hêtre autour de Toulouse alors qu’on n’y voit plus aucun arbre de cette espèce.

Les anciens noms du hêtre dans la toponymie

La racine latine a survécu néanmoins en français moderne dans fayard, terme de sylviculture désignant un grand hêtre servant à la reproduction ; dans le nom du fruit, la faîne, dans celui d’un animal grand amateur de faînes, la fouine (mustela fagina), et dans le fouet fait à l’origine d’une branche de hêtre.

Forêt de hêtres
En réalité Ikadabuki. Origine : Pic des trois seigneurs.

Forêt de hêtres ( En réalité Ikadabuki ) . Origine : Pic des trois seigneurs.

Si nous remontons plus haut que le latin, nous trouvons la racine indo-européenne *bhag- qui a donné en allemand Buche, en anglais Beech, en gaulois *bagos. Le hêtre des forêts nordiques serait à l’origine des mots allemands se rapportant à l’écriture : les Germains utilisaient des bâtonnets en bois de hêtre pour écrire les runes, d’où l’allemand Buchstabe "lettre" ( mot-à-mot "bâton de hêtre" ) et Buch "livre". L’anglais beech "hêtre" et book "livre" ( et le français bouquin ) montreraient la même parenté. Sur le sol de la Gaule, la forme gauloise apparaît dans BAVAY (Nord), BEINE (Oise), BAYNES (Calvados), BAYNE (Ardèche et T. et G.).

Mais la forme latine fagus est de loin la forme la plus répandue en France comme dans les pays du sud : l’italien a faggio ; l’espagnol haya, hayedo ; le catalan, faig,fageda ; l’occitan, fau, fageda.

Les arbres isolés donnent des noms de commune ou de hameau LE FAU, LES FAUX et des noms de famille DELFAU, DUFAU, DELFOU....Au nord de l’Occitanie, on trouve : FAY, LE FAY, LE FOU.
Pour désigner une hêtraie, on trouve les formes féminines issues d’un collectif bas latin ( loca fagea ) ce qui donne FAGE, LA FAGE, FAYE, LA FAYE ou avec des suffixes LE FAGET (H.G.), FAGET ABBATIAL (Gers), LA FAYETTE, LA FAGETTE, HAGET (en Gascogne), LA FAYOLLE et les patronymes FAYOLLE, FAJON, FAGEAU, FAJARD ....

Parfois s’ajoutent des qualificatifs : HAUTEFAGE, HAUTEFAYE, QUATREFAGES et en pays gascon HAGETAUBIN, HAGETMAU (la mauvaise hêtraie).

On voit la richesse toponymique de cette racine. C’est que le hêtre fournit un bois de qualité, facile à travailler. C’est un bon combustible. Les forêts ariégeoises étaient remplies au XVIIIe et au début du XIXe par une quantité de charbonniers travaillant pour les forges et opérant de grandes dévastations malgré les règlements énoncés dans la grande ordonnance des Eaux et Forêts de Colbert qui recommandait de les exploiter en futaie.

Le hêtre a besoin d’ombre et d’humidité pour grandir. Actuellement, dans nos régions, l’arbre ne se trouve qu’en altitude. Souvent associé aux résineux, sapins ou épicéas, il forme des hêtraies sapinières qui peuvent monter jusqu’à 2000 mètres. C’est pourquoi l’existence de toponymes du hêtre dans les plaines du sud-ouest amène à penser qu’un climat plus humide et plus frais régnait sur nos régions vers les IXe, Xe ou XIe siècles, époques où elles furent défrichées.

Le charme

Ce qui peut ressembler à un hêtre dans les bois de plaine serait le charme, Carpinus betulus , qui appartient aussi à la famille des fagacées. Les feuilles du charme se distinguent de celles des hêtres par leur bordure dentée, ce que l’on retient grâce à la formule : "Le charme d’Adam (à dents), c’est d’être (hêtre) à poils".
Le charme est considéré comme "une essence forestière secondaire présente en taillis sous futaie". Il pousse lentement, brûle bien mais son bois dur est difficile à travailler ; il était utilisé dans la fabrication des charrues, des jougs, des roues dentées de moulins. Il est présent dans les jardins car il supporte d’être taillé.

Forêt de charmes. Réalisation collective (janvier 2014).

Voilà encore un mot latin dont l’évolution phonétique a conduit en français à une homonymie que la langue n’a pas évitée : il y a charme qui dérive de carmen et charme qui dérive de carpinus ! À cause des confusions qu’entraînerait cette homonymie, la plupart des livres de toponymie semblent avoir évité de s’intéresser à cet arbre dans le domaine français. Seul Dauzat fait remonter CHARMEIL à *Carpinolaium et cite les anthroponymes DECHARME, DUCHARME, DUCARPE et les lieux dits CHARPENAY, CHARPRENET. Pourtant dans la liste des communes de France, je vois un grand nombre de CHARMES, LE CHARME, LECHARMEL, LA CHARMEE, CHARMOILLES, CHARMOIS ...Il faudrait connaître les formes médiévales de ces toponymes pour s’assurer de leur étymologie. Mais quand on voit que les habitants de CHARMES-SUR-MOSELLE s’appellent les CARPINIENS, alors pas de doute, c’est bien l’arbre qui est à l’origine du nom.

Dans les langues plus proches du latin, pas d’homonymie, donc pas d’hésitation : L’italien carpino, l’espagnol carpe, le catalan carpi montrent bien leur étymologie. L’occitan calpre, caupre, chaupre se reconnaît moins facilement dans les patronymes : CARPE, DUCARPE, LA CALPRENEDE, CHARPENET, CHARPENNE, CHAUPRADE et dans les noms de communes ou lieux dits : CHARPEY (Drôme), LE CHARPIEUX (Isère). Mais la toponymie fournit une indication géographique : les toponymes que ma recherche a trouvés se situent dans la France de l’est.

Le Bouleau

Le bouleau, Betula pendula (pendula car ses branches retombent) est une des essences d’arbres les plus simples à reconnaître grâce à son tronc blanc et son feuillage léger. Son aire est vaste car il résiste au froid et s’adapte à toutes sortes de sols. Il est capable de pousser là où aucun arbre ne pousse. Il colonise les friches, les lisières forestières, les landes, les clairières ; sa croissance est rapide. Les autres végétaux grandissent sous son ombre et il se retire quand, concurrencé par d’autres espèces, il n’a plus assez de lumière.

Bouleaux penchés en Nouvelle Angleterre.

Pline considère le bouleau comme l’arbre de la Gaule ; il rapporte que les Gaulois en tirent du goudron, bitumen. Sans doute obtenait-on une sorte de poix en chauffant de jeunes arbres pleins de sève. La sève du bouleau contient du sucre. Les Scandinaves la consommaient fermentée comme du cidre. Les propriétés médicinales de sa sève, son écorce, ses feuilles, ses bourgeons font qu’il est considéré dans les pays nordiques comme un arbre miraculeux : il est le premier arbre dans le calendrier celtique et symbolise la sagesse. En tchèque et en ukrainien, le nom du bouleau a été choisi pour désigner le mois de mars, époque où la sève commence à circuler. En Russie dont il est l’arbre national, il est fêté en juin.

On fait remonter la racine celtique *betu, betua, betulla à une racine indo-européenne signifiant résine, gomme. L’allemand Birke appartient à cette famille. Latinisée en betula, elle a donné en espagnol abedul, en catalan bedoll, et en occitan bès. En français, il y eut d’abord la forme boul, boule. Le dérivé bouleau n’apparaît qu’au XVIe siècle.

Au sud d’une ligne allant de la Vendée au Jura, on trouve LE BES, LE BEZ pour l’arbre isolé et LE BESSET, LA BESSE, BESSIERE, LA BESSEDE pour le groupe d’arbres. Au nord de cette ligne, betula a donné des noms de famille BETOULE, DUBEDOUT, et des toponymes tels que (LA) BOULAIE, (LE) BELLAY, (LE) BELLOY, LA BOULOUZE, BOULAGES, BOULEURS, BOULLARE...

Le frêne

Comme le bouleau, le frêne (Fraxinus excelsior) est un arbre à croissance rapide, résistant au froid mais sensible à la sécheresse. Ubiquiste, il pousse en plaine comme en montagne, seul ou en forêt où il peut s’associer au chêne ou au sapin. Aux abords des villages de montagne, on le voit émondé en têtard : son feuillage fournissait un excellent aliment pour le bétail avant de finir dans la cheminée. Il paraît que dans la mythologie scandinave, l’axe et support du monde est un frêne géant nommé Yggdrasil. Le culte scandinave dédiait cet arbre à Odin, roi des cieux, et lui accordait des pouvoirs surnaturels. Dans la mythologie grecque, le frêne est l’arbre de Poséidon.

Parmi les racines représentant le frêne, la racine germanique *asch (angl. Asch, all. Asche) est présente seulement dans la France du nord : ESCHBACH (B.Rhin), ACHEVILLE (P. de C.), ASCQ (N.). Une racine gauloise *onno donnerait ONAY (Haute Saône Drôme) ONET (Aveyron), AUNAT (Aude). Mais la racine la plus répandue est la racine latine fraxinus qui donne en français frasne > frêne, en espagnol fresno, en catalan freixe, en occitan frais.

Dans la France d’oïl, abondent les FRESSE, FRESSAIN, FRESSANCOURT, FRESNAY, FRESNAYE, FRESNEAUX, FRESNES, FRESNOIS, FRESNICOURT, FRESNIERES... Dans la France d’oc, on a, souvent précédé de l’article, FRAYSSE, FRAISSE, FRECHE, FRECHOU, FRECHET, FRECHEDE... En gascon, RECHOU, RACHOU. Avec divers suffixes, FRAYSSINET, FREYCINET, FREYCHENET, FREYSSINIERE, LA FREISSINOUSE, FRESSELINES, FRESSANGE... La toponymie du frêne est riche et ce n’est pas un arbre en voie de disparition.

lundi 23 juin 2014, par Geneviève Durand


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